De la grande Arche, il ne restait rien, sauf cette modeste maison de bois construite avec des matériaux de récupération. Depuis le matin le tigre voyait les animaux s’en approcher un à un avec mille précautions. Maintenant, c’était au tour de la panthère. La rumeur se répandait que Noé avait suivi au levant le sinueux sentier qui menait au bas de la montagne où se poursuivait lentement la décrue. Le grand félin laissa errer son regard sur l’extérieur de la construction où l’on distinguait encore des écritures taillées au couteau. Autrefois, sur l’Arche, Noé y avait gravé le nom des animaux en signe de leur alliance. Tournant autour de la maison, le fauve était à l’affût d’un souvenir qui lui échappait. Les eaux, en se retirant, avaient effacé chez les survivants toute mémoire de l’ancien monde. Le tigre ne pouvait encore concevoir que le maître du Déluge fût définitivement parti. Noé était un homme comme un homme, dans le blanc des yeux. © Gilles Lapointe
Si l’on cédait à la tentation de donner un ordre aux impressions photographiques de cette série, on serait tenté de lire Un sourire coquin comme la finale, tant elle remet à leur place les éléments récurrents — maison, tigre, jeu entre dedans et dehors, proportions inversées — qui ont été déplacés dans les autres photocollages. Par analogie avec le récit de la Genèse (il y a bien ici aussi sept moments créateurs), on pourrait dire : « Et le septième jour, l’Écriture fut ». Cette maison de papier, couverte d’idéogrammes (l’image aurait enchanté le Barthes de L’empire des signes), figure bien comme le signe le plus irréfutable d’une totale occupation humaine cette fois, surtout si l’on pense que la présence de l’homme est inséparable de l’invention du récit, contes et légendes fabuleuses qui couvrent les murs de cette maison. Tout comme l’Arche qui avait sauvé les créatures vivantes du désastre, cette maison est une Arche de culture et de savoir, premier musée imaginaire qui recueille inscriptions et artefacts, donnant assise à la mémoire. Cette construction reste certes un abri précaire, fragile comme un paravent apposé sur l’univers, mais elle s’élève un peu du sol sur ses pilotis, elle propose son architecture rudimentaire, elle s’ouvre, fenêtre rectangulaire, sur l’infini. Superbe métaphore d’une harmonie qui, toute éphémère soit-elle, est possible grâce à l’art… Et si les tigres rodent toujours tout autour de la maison, ils sont maintenant relégués à l’extérieur, ils font partie du paysage et se fondent dans le décor, pour ainsi dire. Les forces naturelles sont de la sorte malgré tout intégrées, accueillies dans une structure (ici, contrairement aux représentations éclatées des autres œuvres retenues pour leur qualité élémentaire, c’est l’impression d’ensemble, la totalité qui l’emporte). Tout l’espace domocentrique est de la sorte disposé avec un avant-plan et un arrière-fond, une certaine relation à la profondeur, alors que les autres collages participaient d’une perception différente, opérant par écrasement et aplat des perspectives. Entre le proche et le lointain, les herbes et le ciel, la colline qui fait écho à la cheminée, le regard se meut librement et habite enfin ce monde. © Ginette Michaud
Introduction Les pensées du tigre Sur le dos du porc-épic Les peurs du chien Le tigre et la souris La curiosité surprise Le rhinocéros, le mouton, la chèvre et le chien