En descendant de l’Arche, le porc-épic prit l’âne sur son dos. Sans qu’il pût l’expliquer, une grande complicité avait peu à peu pris forme entre eux. Pour un animal solitaire et sauvage comme lui, c’était un événement qui laisserait une impression mémorable! Au fil des jours, l’âne et lui avaient devisé de mille sujets, imaginé ce qui les attendait dans ces contrées nouvelles.
Pour l’âne, c’était l’évocation naïve de verts pâturages qui s’étendaient jusqu’à la mer. Pour le porc-épic, c’était la patiente découverte de sous-bois humides où poussaient en abondance des baies rouges. Le porc-épic avait moins souffert du voyage que son compagnon et se demandait si l’âne passerait l’hiver. Il redoutait plus que tout le moment de leur inévitable séparation. © Gilles Lapointe
Choc violent des matériaux, du bois gravé représentant avec un grand souci du détail ce porc-épic, à l’âne vert surréaliste de Chagall, passant outre à la vérité naturaliste. Curieux animal que le porc-épic, bel exemple de résistance à toute domestication (on ne l’élève pas, on ne le mange pas, on ne s’y frotte pas), un artiste naturel dans son genre en quelque sorte, avec ses épines qui sont presque des plumes déjà, prêtes à être trempées dans l’encre ou à inciser une surface. Forestier vagabond, il se situe aux antipodes de l’âne tâcheron, domestiqué depuis toujours, mais ici libéré de toute corvée par la couleur insolite de Chagall.
Quelle est leur relation? Que peut bien souffler l’âne à l’oreille de son compagnon ainsi monté sur le dos du rongeur? Le renversement des perspectives, des proportions est évident, mais ce n’est pas là l’important. Si le porc-épic et l’âne vert cohabitent, à la réflexion, si bien ensemble dans ce bestiaire de l’histoire de l’art revisité — une double maison découpée souligne l’étroitesse de leur lien —, c’est peut-être parce que l’âne se rappelle de ses ancêtres, les chevaux sauvages aux origines de l’art rupestre.
Ses grands cousins archaïques paissaient dans les hautes herbes (son pelage se souvient de ce vert-là). Peut-être les premiers artistes pratiquaient-ils déjà l’art du recyclage et avaient-ils ramassé les épines du porc-épic pour gratter les parois de leur maison. Des images primitives des cavernes à la peinture moderne qui retourne à ses sources : l’art est toujours un objet trouvé, l’artiste celui qui se sert de ce qui ne sert à rien. © Ginette Michaud
Introduction Les pensées du tigre Les peurs du chien Le tigre et la souris La curiosité surprise Le rhinocéros, le mouton, la chèvre et le chien Un sourire coquin