La paille défraîchie était humide sous son ventre. Il se sentait engourdi comme après une trop longue veille. Filtrant à travers les barreaux de sa cage dorée, un rayon de soleil effleurait les poils de sa queue en forme de pinceau. Sans ouvrir les yeux, il flairait dans la pénombre l’odeur familière d’urine, devinait à proximité le fade quartier de viande chevaline et le bourdonnement irisé des mouches vertes et bleues. Il étire puissamment ses pattes de derrière, refusant obstinément d’ouvrir les yeux. Devant lui se réverbérait ce trou de lumière dans lequel il s’était engouffré. Ah! Cette blonde savane qui résonnait sous ses pattes musclées, ce corps souple et luisant qui lui échappait dans sa course folle, cette ombre tremblante qui zigzaguait devant lui dans sa fuite éperdue. Cette proie au souffle haletant, il la tenait presque entre ses griffes acérées. Soudain, il lâcha la proie pour l’ombre : un aboiement de terreur tout proche lui fit ouvrir les yeux. © Gilles Lapointe
Que de chemin parcouru de la nature à la culture, que de temps nécessaire pour toute domestication. Entre le léopard en liberté (apparente) et le chien en cage, l’inimitié est ancienne, la tension vive — ce que traduit la diagonale des regards. Mais l’image est trompeuse, ou double : le petit bassin à droite nous oblige à en retourner la lecture et à voir que c’est bien le grand félin qui est en captivité. Endormi par la civilité factice du zoo, il est soudain réveillé par le chien qui passe la tête entre les barreaux pour le narguer (on dit qu’il n’y a rien comme les déjections des grands fauves pour faire perdre la tête aux gardiens canins des maisons). La vue du léopard suffit à rendre le chien fou d’angoisse, et la maison, ce refuge contre les dangers et les irruptions de la vie sauvage, est ici remplie de fauves (rappel subtil qu’il ne faut jamais oublier la part du ça, même lorsque le moi se croit prétentieusement « maitre de la maison »).
Mais au-delà de cette confrontation, ce photocollage a aussi la particularité d’instaurer toute une série de correspondances avec l’iconographie déjà citée dans Les pensées du tigre : même petit carré de pelouse verte emprunté à la miniature hindoue, regard frontal et défense de l’éléphant chinois dont on ne voyait que le postérieur, là un tigre marchant en liberté souveraine, ici un léopard asservi à la mise en scène d’un maitre invisible. Les mêmes images circulent, tissent des liens de complicité, leur sens change selon le contexte et l’assemblage des fragments prélevés. Contrairement aux morceaux qui s’imbriquent d’une seule façon pour former inlassablement la même image, l’art est un puzzle sans coins ni bords, où chaque fragment-citation dit chaque fois autre chose. © Ginette Michaud
Introduction Les pensées du tigre Sur le dos du porc-épic Le tigre et la souris La curiosité surprise Le rhinocéros, le mouton, la chèvre et le chien Un sourire coquin