Le Musée de Noé constitue un moment unique dans le parcours de Jocelyn Jean, certes l’étape la plus figurative de toute son œuvre picturale à ce jour : le voici qui se tourne vers un nouveau médium, la photographie, tout en approfondissant dans cette série de photos-collages une recherche qui l’occupe depuis longtemps et qui gravite autour de l’idée de maison.
Il est toujours passionnant, dans le cas d’un artiste de savoir comment les choses ont pris forme. La fabrication de ces sept impressions photographiques se révèle de fait tout aussi instructive que les résultats obtenus. Un jour, Jocelyn Jean trouve un grand album qui avait été mis au rebut par son voisin : c’est une collection de reproductions bon marché des animaux à travers l’histoire de l’art; il le ramasse et le ramène à la maison, le range dans sa bibliothèque puis l’oublie. Quelques années plus tard, il le retrouve et se met à en feuilleter les planches. L’idée surgit : il commence à y découper au couteau exacto des formes de maison, dont il compte utiliser le plein pour composer une image. Puis la trouvaille plutôt que de travailler avec la forme pleine, il s’intéresse soudain à la découpure, à la silhouette vide qui est restée sur sa table. Cette première inversion sera bientôt suivie d’une seconde : alors qu’il avait surtout pensé privilégier à l’origine les planches en noir et blanc à cause de l’effet photographique (le noir et blanc est l’essence de la photo), il choisit plutôt celles en couleur, dont il remplit les formes évidées de maison (le peintre qui était sorti par la porte rentre ainsi par la fenêtre : ces formes découpées feront office de textures, de pigments, de plans, de couleurs, matières premières de la peinture). La maison, une fois vidée et épurée comme forme géométrique (on reconnait ici le gout de Jocelyn Jean pour la précision formaliste, le dessin presque mathématique du concept), peut désormais contenir tout un monde : malléable, poreuse, transformable à l’infini, elle se fait tour à tour fenêtre, décalque, passe-partout. Entre hasard et nécessité, Jocelyn Jean construit ainsi cette suite de collages comme une intersection, une zone de croisements hybrides et de permutations entre deux mondes : celui de l’habitation humaine et du bestiaire animal, mais aussi entre deux langages plastiques qui se confrontent et se relancent, la reproduction photographique et la peinture. Soumise à une ronde vertigineuse de manipulations et de médiations, l’image originale reproduite dans l’album redevient, une fois déplacée dans le collage, un original; celui-ci est lui-même reproduit, la photo lissant jusqu’à un certain point la superposition des fragments, mais en gardant vifs la couture, le relief, l’hétérogénéité des matériaux. Le résultat est étonnant, l’image neuve, nettoyée, brillante, comme le monde dut apparaître aux animaux et à Noé après les grandes pluies…
Et puis, il y a quelque chose des collages de notre enfance dans ces papiers pliés, coupés, collés. L’art, comme un jeu. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Le Musée de Noé est aussi un exercice de réflexion rigoureux, un commentaire critique sur la mémoire de l’art et la pratique de la citation, un paradoxe en acte saisi à travers toutes formes de prélèvements, de détournements, de trompe-l’œil et autres mises en scène inventives.
© Ginette Michaud
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