On aurait voulu les voir disparaître de la terre à tout jamais! Les rayer définitivement de la carte! Sans doute, au goût de certains, se multipliaient-ils trop rapidement. Les makis regrettaient amèrement les forêts profondes et sauvages de Madagascar où, nuit et jour ils circulaient à l’abri des regards indiscrets, en toute impunité. Eux, si curieux d’ordinaire, voilà qu’ils étaient épiés sans retenue, sournoisement mis à l’écart, éconduits sans autre forme de procès. Cette exposition quasi permanente à des regards hostiles, fermés, les intimidait. Parfois, des ricanements sarcastiques tombaient à l’improviste des branches, trahissant la présence redoutable de juges invisibles. On les expulsait, les refoulait peu à peu vers une zone désertique où, honteux, ils étaient forcés malgré eux de courber la tête, assommés par une lumière trop blanche. Chaque jour, ils découvraient la précarité de leur appartenance à ce nouveau monde. © Gilles Lapointe
Pour la première et unique fois dans cette série, la maison est ici habitée par une communauté, un groupe serré qui fait corps et se tient ensemble, une vraie famille, troublante par sa ressemblance avec ses frères humains. Est-ce un hasard si les jeux de regards, ailleurs pris dans une circulation ludique, prennent cette fois de front le spectateur, qui voit dans ces doubles si proches de lui son propre regard surpris? (Incidemment, si l’Arche de Noé mettait l’accent sur le couple et la fonction de la reproduction qu’il fallait à tout prix préserver pour l’avenir des espèces, ce bestiaire revu et corrigé privilégie toujours soit l’individu solitaire, soit le rassemblement grégaire, mais il exclut systématiquement tout couple — peut-être parce que la reproduction et l’idée de génération sont transférées au médium lui-même et deviennent le procédé majeur de ces photomontages).
Mais la famille ne se limite pas à ces grands singes qui, phylogénétiquement parlant, nous sont si familiers (notre arbre généalogique, si l’on poussait ses ramifications assez loin, commencerait avec la même aïeule pour tous les petits d’homme : Lucy). Les lémuriens de George Stubbs sont quant à eux de bien étranges créatures faites pour hanter nos rêves. Depuis l’Antiquité romaine, on les imagine comme les spectres d‘un mort revenant tourmenter les vivants. Pourtant, ces mammifères qui se balancent toute la nuit au faîte des arbres descendent, parait-il, du même ancêtre commun à la fois aux singes et aux hommes. Curieux parcours circulaire : mais il n’y avait qu’à suivre la courbe inclinée de la girafe, formant une sorte de gracieux pont entre les deux images, pour découvrir ce chainon manquant nous liant tous les uns aux autres.
La curiosité surprise pique aussi notre curiosité par son intention parodique : car tel est pris qui croyait prendre dans cette image pleine de ruse. Ces singes de Gabriel Cornelius Max — le tableau porte un double titre qui en aiguille l’interprétation : Le jury de s singes ou Les singes critiques — s’inscrivent eux-mêmes dans une tradition iconographique du clin d’œil : dans la partie gauche précisément dérobée par le découpeur dans son collage, on les voyait en train de juger un autre tableau, peut-être celui de Chardin intitulé Le peintre des singes, tableau dont le cadre lourdement orné est à moitié dissimulé derrière un rideau. Citation tronquée, tableau dans le tableau, jeux de miroirs : qui, du singe-critique ou du spectateur, imite l’autre? © Ginette Michaud
Introduction Les pensées du tigre Sur le dos du porc-épic Les peurs du chien Le tigre et la souris Le rhinocéros, le mouton, la chèvre et le chien Un sourire coquin